Cette logique court-termiste et d’improvisation est beaucoup plus visible sur des sujets stratégiques lorsque les « cygnes noirs » surviennent, soit des événements totalement imprévus qu’on essaie d’expliquer ensuite, a posteriori, de façon rationnelle. Alors que le Secrétariat général à la sécurité et à la défense nationale (SGDSN) avait prévu et actualisé en 2011 un plan pandémie, différents gouvernements ont fait fi de cette logique de prévention, pourtant rôle fondamental d’un État qui doit « prévoir l’imprévu » afin d’être l’assurance-(sur)vie de la nation, tout cela pour faire quelques millions d’euros d’économies « faciles » plutôt que de s’attaquer aux gisements d’efficience du reste de l’action publique. Il en va de même de la Défense, politique de long terme par excellence. Il est facile en quelques années de casser un effort en la matière. Il faut en revanche 25 ans pour le remonter. Les compétences sont tellement pointues, les chaînes de production tellement spécifiques qu’une remontée en puissance prend une génération. La Russie a beau avoir considérablement augmenté ses budgets depuis 20 ans, elle a dû se résoudre à acheter à la France, pays membre de l’OTAN, des bâtiments de projection et de commandement (BPC) avant que cette commande ne soit annulée par Paris à la suite de l’invasion de la Crimée en 2014. Par facilité, clientélisme, les gouvernements successifs ont relâché l’effort de défense depuis les années 90, aucune loi de programmation militaire n’ayant été respectée depuis 1985. De 5 % du produit intérieur brut (PIB) dans les années 60, cet effort est tombé à 1,5 % en 2014 avant de remonter à près de 2 % à compter de 2015 suite aux attentats. Si une baisse conjoncturelle de cet effort peut être logique selon le contexte international, elle met en péril la sécurité de la nation quand elle devient structurelle, soit renoncer à des pans d’une défense (transport logistique aérien longue distance, drones, munitions petits calibres, chaînes de fabrication de pièces détachées, etc.) par abandon de compétences de conception et/ou de chaînes de production. En matière de défense, on ne peut pas être assuré au tiers. C’est du tous risques ou rien, nos adversaires sachant pertinemment ce qui n’est pas dans notre police d’assurance. Ce manque de clairvoyance est d’autant plus surprenant que l’effort militaire en France, du fait de notre base industrielle et technologique de défense (BITD), ne constitue pas une dépense « sèche » en temps de paix, mais un investissement. En effet, les économistes estiment que les retombées de cet effort pour l’économie du pays se situent entre 1,3€ et 1,9€ pour 1€ investi. À l’heure d’un retour d’une menace massive en Europe laissant planer le spectre d’une guerre « symétrique » de haute intensité, l’opinion publique se rend compte que nos armées ne sont plus prêtes à un conflit de masse dans le temps. À l’image du Second Empire, nos armées sont aujourd’hui uniquement adaptées et conçues pour des opérations limitées via un corps expéditionnaire aguerri.