La francophonie, un atout sous-exploité
« La francophonie, c’est un vaste pays, sans frontières. C’est celui de la langue française. C’est le pays de l’intérieur. C’est le pays invisible, spirituel, mental, moral qui est en chacun de vous. » affirme le poète québécois Gilles Vigneault. Effectivement, bien avant la mondialisation contemporaine, le français s’est affirmé comme une langue universelle, tant par la géographie, notre langue étant la seule avec l’anglais à être pratiquée sur les cinq continents, que par les valeurs et l’imaginaire qu’elle véhicule, ceux de nos écrivains qui sont lus dans tant de contrées ainsi que ceux propagés par la Révolution française qui ont été consacrés en 1948 par la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Si notre pays a un ancrage européen fort, il ne peut se résumer à la position géographique de ce qu’on qualifie parfois d’hexagone. La France est un archipel sur lequel le soleil ne se couche jamais avec des Français et des Francophones aux quatre coins de la planète. Notre pays a de facto une dimension mondiale qu’il n’a pas toujours tendance à valoriser à sa juste mesure afin de défendre ses intérêts et sa vision du monde dans un moment marqué par le retour de la conflictualité et des états-puissance.
Dans ce contexte, les pays qui ont le français en partage ont tout intérêt à s’unir au-delà des « messes » culturelles convenues afin de faire de la francophonie un levier non seulement d’influence, mais aussi de puissance tant politique qu’économique. Notre pays ne doit pas tout miser sur l’Union européenne (UE) pour s’affirmer davantage, UE qui peine depuis des décennies à définir des orientations stratégiques communes à ses 27 états membres en dépit d’un certain regain lié à la crise ukrainienne. Cette union des intérêts via cet espace francophone est d’autant plus naturelle et aisée que nous avons une langue en partage avec tout ce que cela signifie comme approche du monde, ce fameux « pays de l’intérieur » cher à Vigneault. Nous l’avons par exemple constaté en 2003 où l’appui d’une partie très importante des pays francophones a permis à la France de tenir tête aux Etats-Unis d’Amérique lors de la crise irakienne. Si la guerre a eu lieu, l’opposition de ces pays ayant des valeurs en partage a enlevé tout financement onusien et surtout toute légitimité internationale à cette intervention.
L’espace francophone, ce sont 321 millions de locuteurs répartis sur les cinq continents selon le dernier rapport en date de l’Observatoire de la langue française publié en 2022. La langue française demeure ainsi la 5e langue la plus parlée au monde (après l’anglais, le chinois, l’hindi et l’espagnol) et la 2e langue la plus apprise après l’anglais par plus de 50 millions d’individus. C’est également la 3e langue la plus utilisée sur certains sites populaires (Facebook et Wikipédia par exemples). Le nombre de locuteurs pourrait même atteindre 700 millions en 2050 selon certaines projections démographiques. Dans une acception large et institutionnelle, cet espace comprend les 88 Etats et gouvernements de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui représentent plus de 15% de la richesse mondiale, 20% des échanges commerciaux avec un taux de croissance annuel moyen de 7% ces dernières années. Dans un monde où la concurrence globale impose d’organiser les solidarités linguistiques, les pays qui ont une langue en partage tendent plus naturellement à accroître leurs échanges de biens et de services.
La francophonie est donc un enjeu colossal pour tous les pays concernés qui peuvent en faire un levier d’Archimède afin de démultiplier la puissance de chacun d’eux dans une logique « gagnant-gagnant » face aux expansionnismes anglo-saxons, chinois ou russe. Les domaines de coopération sont vastes, la culture bien sûr, la politique internationale où la voix francophone doit porter davantage, mais aussi le champ économique trop longtemps délaissé en dehors de l’aide au développement.
Mais pour cela, il faut que la France en fasse une priorité de sa politique étrangère sous peine de voir cette formidable opportunité s’étioler. Certains pays se tournent vers d’autres acteurs, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur les plans politique et culturel. Citons par exemple le Rwanda qui a fait de l’anglais en 2010 la seule langue d’enseignement public en remplacement du français qui recule au sein de la population et de l’administration ou le Gabon qui frappe à la porte du Commonwealth. C’est d’ailleurs dans l’intérêt de la France, y compris dans ses affaires intérieures. Faire de la francophonie un axe majeur de notre politique étrangère au même rang que notre politique européenne permet de donner au pays un grand projet fédérateur, ouvert, facteur de fierté et d’assimilation auprès de citoyens issus de cet espace. La francophonie est pour nous un maillon essentiel pour redonner confiance au pays, lui faire retrouver un esprit de conquête à travers de grands objectifs ambitieux à la hauteur de notre histoire humaniste et multiséculaire.
Faire de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) un acteur politique et économique majeur dans le concert des nations
Proposition n°1
Renforcer les moyens et les prérogatives de l’OIF pour en faire un acteur majeur des relations internationales.
Proposition n°2
Faire de l’OIF une communauté économique et des affaires à l’image de la Rencontre des entrepreneurs francophones (REF Francophone) organisée depuis quelques années par le Mouvement des entreprises de France (MEDEF).
Proposition n°3
Au sein de l’espace francophone, lancer des coopérations dans des secteurs clés : transition énergétique, économie circulaire, numérique, services à distance, industries de santé, biotechnologies.
Développer le sentiment d’appartenance à un espace francophone et francophile
Proposition n°4
Attribuer au drapeau de la Francophonie (OIF) le même rang protocolaire qu’au drapeau européen pour signifier que la France est non seulement européenne, mais aussi mondiale en tant que membre d’un espace francophone et francophile qui couvre les cinq continents.
Proposition n°5
Faire de la Francophonie un volet majeur des programmes de français et d’histoire-géographie tout en incitant les autres pays membres de l’OIF à faire de même.
Ancrer le français comme langue mondiale
Proposition n°6
Mettre en place l’équivalent d’Erasmus au sein de l’OIF.
Proposition n°7
Adapter l’Académie française à la mondialisation du français avec des locuteurs de plus en plus majoritairement hors de France, ce qui pourrait se concrétiser par l’extension du nombre de sièges à l’Académie et par l’ouverture d’un autre site hors de nos frontières, en Afrique francophone par exemple.
Proposition n°8
Étudier la faisabilité de créer un baccalauréat francophone commun à différents pays.
Orienter prioritairement l’aide au développement vers l’espace francophone
Proposition n°9
Orienter la quasi-totalité de l’aide publique au développement (APD) française vers les pays de l’espace francophone (aide qui continue d’être versée à des pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, et n’est concentrée qu’à environ 35% sur le monde francophone et à 43% sur l’Afrique) tout en veillant à ce que la part versée à l’UE (13% de l’ensemble de l’APD française, soit 1,5 Md€ en 2019) soit fléchée vers des projets conformes aux intérêts de la France.
Proposition n°10
Mettre en place une Banque francophone d’investissement, à partir de plusieurs structures existantes aux missions convergentes comme la Banque africaine de développement, afin d’investir en priorité dans l’éducation, la santé et la transition écologique.
Refaire du français une langue d’excellence
Proposition n°11
Créer pour l’espace francophone l’équivalent du programme « Young leaders » américain.
Proposition n°12
Promouvoir la création d’au moins trois revues scientifiques francophones d’envergure mondiale.
Proposition n°13
Orienter une partie des économies issues de la privatisation partielle de l’audiovisuel public (cf. volet Culture) vers les opérateurs de la francophonie (France 24, RFI, TV5 Monde fusionnés en une BBC à la française).
Défendre et promouvoir le français au sein des organisations internationales, tout particulièrement l’UE
Proposition n°14
Le Royaume-Uni ayant quitté l’UE, faire du français et de l’allemand les deux langues de travail de l’Union et militer pour l’usage du français comme langue diplomatique unique de l’UE vis-à-vis de tiers.
Proposition n°15
Exiger des représentants de la France l’emploi systématique du français dès lors qu’ils en ont la possibilité et refuser la participation de la France à des réunions où l’emploi du français serait systématiquement exclu.
Faire de la maîtrise du français une priorité des politiques publiques en France, notre langue étant le principal levier d’intégration sociale et citoyenne
Proposition n°16
Conditionner toute subvention publique ou participation de l’État ou de collectivités territoriales à des événements (colloques, festivals, etc.) à l’emploi du français, en France comme à l’étranger.
Proposition n°17
Ne délivrer de titres de séjour, de contrats d’accueil et d’intégration ou l’asile politique qu’à la condition de prouver un niveau de français B2 ou C1, après une formation « Français langue étrangère » si nécessaire.