Agriculture

Redresser l’agriculture française en libérant ses acteurs

La France est historiquement un grand pays d’agriculture. En 2021, elle a exporté près de 70 Md€ en matière agricole et agroalimentaire, soit 1,8 fois plus qu’en 2000. Avec une production agricole estimée à 81,6 Md€ en 2021, la France demeure le principal producteur européen avec près de 17% de la production totale du continent, loin devant l’Allemagne et l’Italie.

Pourtant, selon un rapport sénatorial de 2022 sur la « compétitivité de la ferme France », notre agriculture poursuit sa lente érosion. En effet, ces chiffres masquent l’augmentation des produits étrangers dans de nombreux secteurs. La France importe près de 63 Md€ de denrées alimentaires, soit 2,2 fois plus qu’en 2000. En 20 ans, la France est passée du 2e rang au 5e rang des exportateurs mondiaux de produits agricoles. Le potentiel agricole français baisse malgré une balance commerciale excédentaire de 8 Md€ en 2021. Les évolutions positives ces dernières années ne s’expliquent que par une hausse des prix sur les marchés internationaux plus rapide que les baisses des volumes exportés.

La plupart des secteurs sont touchés :

  • un poulet sur deux consommés en France est importé ;
  • 56% de la viande ovine consommée en France est d’origine étrangère ;
  • 28% de la consommation de légumes et 71% de la consommation de fruits sont importés.

Par ailleurs, la stratégie actuelle de montée en gamme pose question car elle apparaît inadaptée à la baisse du pouvoir d’achat et à la hausse des prix. Les marchés « cœur de gamme », les plus consommés par les Français sur le marché intérieur, sont de plus en plus occupés par les produits d’importation, y compris dans le Bio.

Selon le rapport précité, 70% des pertes de parts de marché s’expliquent par une baisse de notre compétitivité par rapport aux autres pays producteurs. Celle-ci tient entre autres :

  • au coût du travail dans le secteur ;
  • au niveau élevé d’exigence des politiques environnementales, coûteuses pour les producteurs ;
  • à la taille des exploitations, en moyenne plus petite que celle des concurrents ;
  • à la fiscalité sur la production.

En dehors de ces principaux facteurs, d’autres paramètres freinent l’activité agricole comme les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER). Créées en 1960 et jamais imitées à l’étranger, leurs objectifs étaient et restent ambigus : d’une part empêcher l’agrandissement des exploitations par des investisseurs et, d’autre part, favoriser l’agrandissement des exploitations existantes (on était en pleine activité de remembrement à leur création). Elles font l’objet aujourd’hui de nombreuses critiques, notamment sur le manque de transparence de leurs décisions.

On peut également mentionner des taxes foncières très variables d’un territoire à l’autre sans toujours d’éléments d’explications ainsi qu’un maquis administratif de 100 000 règles et normes qui évoluent en permanence.

Cette situation défavorable est accentuée par des dysfonctionnements sur les marchés agricoles, plus ou moins saillants suivant les secteurs. Il en va ainsi du déséquilibre entre les acheteurs, négociants ou centrales d’achats, et les offreurs, souvent des producteurs de tailles modestes. On peut également pointer le manque de contrôle des produits agroalimentaires qui entrent sur le marché commun de l’Union européenne (UE), au moins 20 % d’entre eux n’en respectant pas ses obligations. Enfin, des investisseurs étrangers, notamment chinois, contournent les règles de préemption fixées par les SAFER précitées pour prendre possession de terres agricoles françaises.

A cela s’ajoute un principe de précaution dévoyé dans lequel s’engouffrent des mouvements écologistes extrémistes qui désignent pour cibles nos agriculteurs et entreprises, pourtant les plus vertueux du monde développé. Il en va ainsi de l’abandon du projet d’usine Bridor de viennoiseries industrielles à Liffré en Bretagne et ses 500 emplois, à coups de recours juridiques rendant les délais d’installation incompatibles avec les besoins du marché et en dépit du soutien des élus locaux. Ces actions irrationnelles touchent aussi la recherche agronomique avec des sites régulièrement vandalisés.

Dans ce contexte, le métier attire peu. Les agriculteurs sont moins nombreux et de plus en plus âgés.

Il nous faut donc libérer l’agriculture de ses nombreuses contraintes et ça commence au niveau de l’UE. 

En effet, la Politique agricole commune (PAC) devient de plus en plus contradictoire entre ses deux piliers, le premier composé des aides directes aux agriculteurs en fonction de la surface au sol ou de nombre de têtes de bétail (70% du budget) et le deuxième regroupant des dispositifs de développement rural (25% du budget) de plus en plus orientés vers la transition écologique. Il convient donc de mieux concilier la production nécessaire à l’alimentation au meilleur coût des populations, le maintien de la compétitivité de nos agricultures sur les marchés mondiaux avec l’impératif de protection de l’environnement, ce qui passe nécessairement par un effort permanent d’innovation. Or, aujourd’hui, la déclinaison agricole du « pacte vert » (Green Deal), soit la politique « de la ferme à l’assiette » (Fromfarm to fork), est l’incarnation de ce manque de cohérence avec des objectifs trop ambitieux qui menacent la souveraineté alimentaire du continent. Ainsi, le but est de réduire de 50% le recours aux pesticides d’ici à 2030 et de 20% l’utilisation d’engrais chimiques avec, parallèlement, des surfaces dédiées à l’agriculture biologique qui passeraient de 9,1% des terres exploitées dans l’UE à 25 %, toujours à l’horizon 2030. Or, une évolution aussi brusque risque de renchérir notre production et d’alimenter la spirale inflationniste en vigueur au bénéfice des producteurs étrangers et au détriment des consommateurs européens, la production biologique nécessitant plus de surface à production égale. De nombreuses études estiment que ces objectifs entraîneraient des pertes de rendement allant jusqu’à 30 % ainsi que, paradoxalement, des pertes de qualité qui résulteraient de la baisse de la protection et de la fertilisation des cultures. En combinant ces deux facteurs, la valeur de la production européenne pourrait baisser de 12 Md€ par an.

Cependant, cette politique « par le haut » ne suffit pas. Il faut également redonner aux Français la fierté de leur production agricole, ce qui signifie les sensibiliser aux enjeux dès l’Ecole, informer les consommateurs, mettre en place ou favoriser des labels fiables, garantissant une traçabilité synonyme de transparence et de lutte contre la fraude. Car, in fine, c’est le citoyen qui décide avec sa carte bleue grâce à laquelle il a souvent plus de pouvoir qu’avec sa carte d’électeur…

Libérer l’Europe agricole du dogmatisme écologiste

Proposition n°1

Mettre fin au programme « Farm to Fork » de l’UE qui, par ses objectifs totalement déconnectés du contexte international et de l’état de la recherche agronomique, menace la compétitivité de l’agriculture des pays membres et ainsi leur capacité à nourrir au meilleur rapport qualité-prix les consommateurs européens.

Proposition n°2

Favoriser les petites et moyennes exploitations ainsi qu’un mode de production durable en modifiant le fléchage des aides du 1er pilier de la PAC en :

  • instaurant une dégressivité des subventions au regard de la surface de l’exploitation ;
  • plafonnant les aides sur les salaires à 5 équivalent temps plein (ETP), indépendamment de la production ;
  • favorisant le développement de l’agriculture de conservation des sols (ACS) par des incitations financières calculées sur la base, entre autres, d’objectifs de baisse des émissions de GES, de stockage de matières carbonées dans le sol, et ce, en complément des mesures agro-environnementales et climatique (MAEC) en vigueur.

 

Proposition n°3

À l’image de l’air et de l’eau, prendre des mesures à l’échelle européenne pour protéger les terres de façon pragmatique en promouvant l’agriculture de conservation des sols (ACS) précitée qui, en limitant le travail mécanique de la parcelle, en maintenant des couverts végétaux en permanence et en effectuant une rotation des cultures, limite leur dégradation et leur érosion.

Proposition n°4

Revoir les modalités de calcul et surtout de gestion des surfaces d’intérêt écologique (SIE) dans une approche plus pragmatique et qualitative que quantitative.

Rendre à nouveau compétitive l’agriculture française

Proposition n°5

En attendant une convergence des exigences au niveau européen, éliminer les réglementations supplémentaires françaises (“surtransposition”) qui s’ajoutent aux normes de l’UE afin de dégager notre agriculture de contraintes excessives.

Proposition n°6

Comme pour les autres TPE/PME françaises, ramener l’ensemble des prélèvements obligatoires (impôts, taxes et cotisations sociales) sur les exploitations agricoles dans la moyenne européenne afin de permettre à nos producteurs de se battre à armes égales par rapport à leurs principaux concurrents qui sont européens. Parallèlement, financer la Protection sociale par des assiettes beaucoup plus larges que les seuls revenus générés par le travail (revenus du capital, financiers, de l’immobilier, issus de la consommation et des allocations diverses).

Proposition n°7

Défiscaliser en partie l’investissement agricole afin de soutenir les producteurs dans leurs projets de modernisation, de robotisation et d’adoption de technologies avancées, contribuant ainsi à la transition vers l’agriculture 3.0.

Proposition n°8

Réviser les critères de déclenchement de l’assurance climatique subventionnée par la PAC en modifiant notamment la méthode de calcul du rendement basée sur la « moyenne olympique » et en ajustant les franchises applicables. Parallèlement, mettre en place un « compte épargne pour les aléas climatiques et économiques » destiné à atténuer les variations de production, et donc de revenus, d’une année à l’autre.

Revaloriser l’agriculture et le métier d’agriculteur

Proposition n°9

Lutter contre « l’agribashing » et objectiver le débat en l’amenant sur le terrain scientifique par une campagne médiatique régulière et offensive sous couvert du ministère de l’agriculture afin de valoriser auprès des consommateurs la qualité exceptionnelle de la production agricole française.

Proposition n°10

Resserrer les liens entre la population et ses agriculteurs tout en favorisant les circuits courts par l’organisation d’une journée annuelle du patrimoine économique (et agricole).

Proposition n°11

Préserver à long terme notre souveraineté alimentaire en développant et valorisant les différentes formations agricoles.

Proposition n°12

Augmenter l’effort de recherche en matière agricole afin de préserver notre souveraineté alimentaire et notre production tout en en limitant l’empreinte environnementale négative. 

Proposition n°13

Lutter avec détermination contre les atteintes aux exploitations (droit de propriété) par des peines plus lourdes et des peines planchers ainsi que par une augmentation des patrouilles de la Gendarmerie nationale.

Proposition n°14

Lutter contre les attaques infondées de nouveaux riverains vis-à-vis d’exploitants agricoles et de leurs activités par un arsenal juridique plus protecteur.

Proposition n°15

Améliorer la gestion de l’eau à vocation agricole (retenues, bassins de rétention, réseaux d’irrigation, etc.) afin de limiter l’impact des périodes de sécheresse de plus en plus fréquentes tout en favorisant la biodiversité locale.

Proposition n°16

Favoriser l’essor de l’agriculture 3.0 en étendant rapidement la couverture haut débit et très haut débit des zones rurales. 

Proposition n°17

Rapprocher les citoyens de l’agriculture tout en favorisant la biodiversité en ville et en zones périurbaines en y encourageant le développement de lopins de terre.

Rendre l’administration agricole plus transparente, incitatrice, protectrice et agile

Proposition n°18

Dans le but de protéger notre production agricole, imposer le respect strict des normes environnementales et sociales de l’UE aux produits importés, interdire ou taxer les produits non conformes et renégocier les traités internationaux si nécessaire.

Proposition n°19

Veiller à maintenir le budget de la PAC afin qu’il conserve son rôle fondamental dans la promotion de la cohésion des agricultures des pays membres et de leur compétitivité face à la concurrence mondiale. 

Proposition n°20

Ne plus opposer l’agriculture biologique à l’agriculture conventionnelle car les deux systèmes agricoles se complètent et peuvent s’améliorer mutuellement. Il est donc important d’harmoniser les subventions accordées. L’agriculture biologique ayant des rendements inférieurs de 10% à 30% par rapport à l’agriculture conventionnelle, elle est plus onéreuse pour le consommateur et utilise davantage de terres arables au détriment des espaces naturels nécessaires à la préservation de la biodiversité, et ce, sans que son impact positif sur la santé soit clairement prouvé.

Proposition n°21

En complément des mesures prises à l’échelle européenne, développer en France l’agriculture de conservation des sols (ACS). Ses trois volets, la couverture végétale, l’absence de travail du sol et la rotation des cultures, permettent de stocker davantage de matières organiques en capturant et en transformant le CO2 de l’air tout en améliorant la fertilité des champs, soit la promotion d’une agriculture durable. 

Proposition n°22

Tant que des substituts efficaces n’ont pas été trouvés, remettre sur le marché les pesticides (néonicotinoïdes (betteraves et colza), glyphosate, et diméthoate (cerises) par exemple) qui ont été interdits pour des raisons idéologiques, sans véritables preuves scientifiques de leur toxicité.

Proposition n°23

Établir des rencontres périodiques tripartites entre les acteurs de l’industrie agroalimentaire, les producteurs et les distributeurs afin de garantir des niveaux de rémunération équitables pour chaque partie lors de la conclusion de contrats.

Proposition n°24

Supprimer les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) et instaurer un droit de préemption en faveur des agriculteurs et des futurs agriculteurs locaux lors de la vente de terrains agricoles.

Proposition n°25

Supprimer les autorisations d’exploiter et d’autres interventions préfectorales sans plus-value comme la fixation de la date des vendanges.

Proposition n°26

Dans le but d’améliorer la transparence de la production agricole en complément de l’ouverture des données publiques (Open Data), notamment sur ses intrants, garantir une meilleure accessibilité en ligne des informations sur les produits phytosanitaires, sous la supervision renforcée de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) dont l’indépendance sera renforcée. L’information sur ces produits sera fournie par les fabricants sous peine d’interdiction de commercialisation sur le territoire.

Proposition n°27

Réduire le nombre de chambres d’agriculture parallèlement à la fusion des conseils départementaux et régionaux (cf. la Réforme de l’action publique) avec un financement spécifique provenant du ministère, attribué de manière individuelle selon des contrats pluriannuels d’objectifs et de performance. 

Proposition n°28

Intégrer au ministère l’Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer (ODEADOM) et fermer l’Agence Bio.

Proposition n°29

Garantir une représentation équilibrée des différentes parties prenantes (syndicats agricoles, scientifiques, industriels et distributeurs notamment) lors des auditions menées par les « conventions citoyennes » sur l’agriculture, sans « retraitement » du tirage au sort et en laissant les individus s’organiser (animateur et rapporteur) en vue de la rédaction du rapport et des recommandations.

Protéger les consommateurs et les animaux pour une agriculture de qualité

Proposition n°30

Faire de l’agriculteur une véritable vigie de la protection de notre patrimoine environnemental en l’incluant dans une plateforme d’alerte et de surveillance (pollution, espèces invasives, etc.) comprenant autorités locales, forces de sécurité, scientifiques et citoyens, etc.

Proposition n°31

Partager et encourager les bonnes pratiques et expériences au niveau européen afin de lutter contre les souffrances animales inutiles.

Proposition n°32

Améliorer encore la transparence et la traçabilité des produits agroalimentaires transformés en imposant la mention de l’origine (France, UE ou autre) de toutes les matières premières composant le produit.

Proposition n°33

Afin de ne pas induire le consommateur en erreur, protéger sur la base d’une définition légale les noms de produits courants comme « fromage », « beurre », « steak », etc., de plus en plus d’aliments portant ces appellations étant extrêmement transformé, voire de synthèse.