Numérique

Maîtriser la révolution numérique pour moderniser le pays

En 1945, tirant les leçons des réalisations électroniques secrètes menées pendant la guerre, deux documents ont défini une structure de machine radicalement nouvelle, « le calculateur numérique à programme enregistré en mémoire », auquel les Français donneront plus tard le nom d’ordinateur. 

La dématérialisation complète du programme, passant de cartes perforées ou de bandes de papier à des impulsions électroniques, permit d’accélérer énormément le traitement des instructions et ouvrit de nouvelles possibilités algorithmiques : il est beaucoup plus facile, dans une machine, d’accéder à n’importe quelle adresse mémoire électronique que de dérouler et rembobiner en permanence une bande de papier !

Au cours des années qui suivirent, une dizaine d’équipes à travers le monde se lancèrent dans le développement d’ordinateurs, surtout en Angleterre et aux États-Unis. Elles expérimentèrent divers procédés de mémorisation, empruntés souvent au radar et aux télécommunications. En 1950, une dizaine d’exemplaires étaient en construction, certains même déjà en service, en Angleterre, aux États-Unis ou en Union Soviétique. Le caractère extrêmement risqué de ces projets explique qu’ils aient été menés généralement dans des laboratoires de recherche publics.

Rapidement, toutefois, des entreprises de toutes tailles ont organisé les transferts de technologies, mis au point et industrialisé ces nouvelles machines. En les mettant à la disposition d’utilisateurs de plus en plus nombreux, elles favorisèrent la multiplication des expériences et l’acquisition de savoir-faire, donc de nouveaux progrès qui ne s’arrêteront plus. Les premiers ordinateurs personnels ont ainsi commencé à être commercialisés dans les années 1970 par Apple et Commodore. Ces machines ont contribué à populariser l’informatique en permettant aux individus de disposer de leur propre ordinateur à la maison.

Après l’ordinateur, la mise en réseau fut la deuxième innovation majeure qui a donné naissance au réseau mondial Internet que nous connaissons aujourd’hui. Son développement a commencé dans les années 1960, mais il a fallu attendre les années 1990 pour que son utilisation se généralise au sein du grand public. L’invention du World Wide Web en 1989 a été un facteur clé dans cette expansion grâce au déploiement d’une interface conviviale pour naviguer sur la toile.

Ce réseau mondial a ensuite servi de support au développement des réseaux sociaux au début des années 2000 qui ont transformé la façon dont les individus interagissent entre eux. Des sites comme MySpace et Facebook ont permis aux utilisateurs de créer des profils en ligne, de se connecter avec des amis et de partager du contenu.

Le développement des téléphones mobiles n’a fait qu’amplifier cette digitalisation des échanges. Désormais, les applications qui y sont installées permettent à leurs utilisateurs de faire tout ou presque. La vie quotidienne des citoyens en est transformée.

Aujourd’hui, la capacité à traiter, analyser et utiliser en masse des données annonce une nouvelle révolution dans notre quotidien avec l’essor de l’Intelligence artificielle (IA). Elle est déjà utilisée dans de nombreux domaines, notamment la reconnaissance vocale et faciale, la traduction de langues étrangères, la prédiction de résultats sportifs ou la détection de fraudes financières.

Le numérique a donc changé nos vies et nos sociétés avec un secteur aux multiples acteurs dans des domaines aussi divers que les infrastructures, les applications précitées, l’hébergement et la gestion des données. Les usages sont eux aussi de plus en plus variés, allant du professionnel au personnel en passant par les loisirs ou les démarches citoyennes.

Le numérique est donc plus que jamais transverse, ce qui en fait un sujet central pour la Nation, sa gouvernance comme sa vie courante.

Dans ce contexte, la France a des atouts, tant en termes de compétences (ingénieurs, data scientists, spécialistes IA, robotique, supercalculateurs, jeux vidéo, etc.), d’écoles (Paris Saclay, Sophia Antipolis, Ecole 42) que d’entreprises (opérateurs télécoms comme Orange ou des entreprises de services numériques comme Cap Gemini).

Il y a également eu une prise de conscience progressive du politique avec la création il y a plus de 10 ans d’un Secrétariat d’Etat, d’un Conseil national du numérique et de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI). Plus récemment, le label French Tech, qui fait aujourd’hui référence, est né.

Cependant, la France et l’Europe sont en retard par rapport aux Etats-Unis et maintenant la Chine qui dominent le secteur avec respectivement les GAFAM (pour Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et les BATX (pour Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Ces opérateurs géants sont souvent des entreprises qui ont des pouvoirs comparables à ceux d’un Etat avec des situations oligopolistiques, voire monopolistiques. Cela leur permet d’anticiper l’émergence d’une concurrence sérieuse via le rachat d’entreprises innovantes ou des actions d’influence afin d’orienter le cadre légale et réglementaire en fonction de leurs intérêts. Nous sommes dépendants de leurs matériels, de leurs logiciels et donc de leur gestion de nos données. Le numérique est ainsi devenu un formidable levier de domination pour Washington, amplifié par l’extraterritorialité du droit américain. Le développement de cet écosystème, fluide et rodé entre les universités, les laboratoires de recherche, les entreprises et la défense, a permis à ce pays d’opérer un formidable sursaut alors que les Etats-Unis étant souvent perçus comme un empire en déclin au cours des années 90.

Plusieurs phénomènes brident l’essor de cet écosystème en France : un marché intérieur restreint, des levées de fonds difficiles pour les jeunes pousses françaises, un manque de recherche, pas assez de hauts diplômés très pointus, une fuite des cerveaux, un Etat qui favorise peu ses entreprises dans le cadre des marchés publics, une logique de taxation et de défense plutôt qu’une logique d’innovation et d’attaque. Or, face souvent à des monopoles de fait, toute taxation se répercute immanquablement sur les ménages et surtout les entreprises françaises.

Pour autant, il n’y a pas de fatalité et il faut refuser cette colonisation numérique car, au-delà des questions économiques, les enjeux sont centraux pour notre société, tant sur les plans social (transformation des métiers), sociétal (protection de la vie privée), citoyen, démocratique (risque de nouvelles fractures avec l’illectronisme et l’incapacité à exercer ses droits dans un environnement de plus en plus digitalisé) qu’environnemental (consommation d’énergie et de terres rares) avec le risque de passer d’une dépendance aux hydrocarbures à une dépendance à certains métaux et composants.

Par conséquent, nous proposons un certain nombre de mesures fortes et volontaristes pour enrayer là aussi le déclin français. 

Lutter contre la colonisation numérique de la France et de l’Europe

Proposition n°1

Favoriser le développement des hébergeurs français en France et mettre enfin en place un cloud souverain abritant les données considérées comme stratégiques pour le pays (administrations et opérateurs d’importance vitale ou OIV). Ce cloud pourrait être hébergé à St-Pierre-et-Miquelon pour des raisons écologiques (moins de besoins en refroidissement) et d’aménagement du territoire.

Proposition n°2

Imposer aux administrations et opérateurs publics le choix d’un hébergeur national ou européen avec localisation des datacenters en France.

Proposition n°3

Interdire sur le marché français et si possible de l’Union européenne (UE) les produits numériques (hardware comme software) sur lesquels pèse un doute concernant des capacités d’espionnage ou de récupération illégale des données des citoyens comme des entreprises. La simple mention dans le cahier des charges de la recherche d’un prestataire non soumis au Cloud Act suffit déjà par exemple à prévenir beaucoup de déconvenues.

Proposition n°4

Imposer l’usage de produits numériques certifiés ANSSI pour les services régaliens de l’Etat et les entreprises considérées comme stratégiques ou sensibles.

Proposition n°5

Définir au niveau de l’UE, voire de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’assiette fiscale de référence attachée aux multinationales du numérique.

Proposition n°6

Pousser à la création d’un NASDAQ européen, indice boursier qui a vocation à abriter les cotations technologiques les plus performantes du monde.

Proposition n°7

S’inspirer de l’exemple de la Gendarmerie nationale pour mettre en place dans l’ensemble de l’administration, en priorité les fonctions régaliennes, une politique du logiciel libre souverain en open source, de la bureautique jusqu’au système d’exploitation.

Proposition n°8

Imposer à l’échelle européenne une définition des « données sensibles » des personnes morales au même titre que le Règlement général de protection des données (RGPD) l’a fait pour les personnes physiques.

Proposition n°9

Afin de favoriser l’émancipation de la France et de l’Europe de la tutelle numérique américaine, voire progressivement chinoise, allouer 50% des marchés publics français à des acteurs nationaux ou de l’UE ou de l’Association européenne de libre-échange (AELE) dont un quart de PME.

Proposition n°10

Poursuivre certains GAFAM, notamment Google, pour abus de position dominante, ce dernier ayant plus de 90% des parts de marché des moteurs de recherche sur le continent.

Proposition n°11

Identifier les entreprises numériques françaises et européennes dans une liste à la disposition des acheteurs publics comme privés.

Proposition n°12

Favoriser l’essor de l’Euro numérique et définir ainsi les règles d’une cryptomonnaie publique.

Proposition n°13

Investir les instances internationales et européennes de normalisation afin d’influer sur la définition des standards du secteur.

Proposition n°14

Faire de la cyberdéfense une priorité du ministère des armées dans le cadre d’une loi de programmation militaire (LPM) à la hauteur des enjeux et des menaces, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui en dépit de la communication gouvernementale.

Proposition n°15

Faire connaître, valoriser et renforcer le Data Intelligence Cluster qui regroupe les entreprises françaises les plus pointues en matière d’analyse massive des données et de renseignement dans le cyberespace.

Proposition n°16

Augmenter les capacités des acteurs publics, notamment l’ANSSI, la Direction interministérielle du numérique (DINUM) et BPI France, à accompagner les entreprises françaises dans leur transformation digitale.

L’Etat comme garant et facilitateur d’une stratégie numérique nationale autonome au service des citoyens

Proposition n°17

Renforcer les prérogatives de la Direction interministérielle du numérique (DINUM) afin de rationaliser et mieux coordonner les outils informatiques de l’Etat.

Proposition n°18

Demander à la DINUM et à France Stratégie de mettre en place une vision prospective à 15 ans des besoins numériques de l’Etat tenant compte de l’évolution des attentes de la société et des techniques.

Proposition n°19

Après avoir clarifié l’organisation de l’administration (cf. le volet Refondation de l’action publique), continuer à digitaliser les processus afin de faciliter le travail des agents comme l’usage des services publics par les citoyens.

Proposition n°20

Dans le respect des règles de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), instaurer une carte d’identité numérique avec signature électronique certifiée permettant à chaque citoyen d’accéder, 24 heures sur 24, à des centaines d’e-services publics et privés via un portail internet « guichet unique ».

Proposition n°21

S’appuyer sur la carte précitée pour mettre en place des outils sécurisés de consultation citoyenne.

Proposition n°22

Décloisonner l’accès aux données et favoriser ainsi le travail collaboratif entre et au sein des trois fonctions publiques grâce à des outils partagés et à l’Open Data.  

Proposition n°23

Apporter du Très Haut Débit à pratiquement 100% de la population en 5 ans en alternant de façon pragmatique en fonction du terrain et de la densité de la population la 4G, la 5G ou la fibre optique. Créer si nécessaire des incitations ciblées pour les opérateurs afin de couvrir les dernières zones blanches numériques.

Proposition n°24

S’appuyer sur l’internet des objets pour créer des synergies entre les services publics et entre ces derniers et les citoyens avec, par exemple, les tournées journalières de La Poste qui permettent de renseigner directement les communes sur l’état de la voirie via des caméras et autres capteurs embarqués dans les véhicules.

Proposition n°25

Inciter les collectivités locales à ouvrir des fablabs dans leurs principales zones d’activités économiques et/ou universitaires, soit des espaces collaboratifs de partage d’outils informatiques comme des imprimantes 3D, des logiciels, ou de partage de compétences.

Acculturer la population aux enjeux du numérique

Proposition n°26

Lutter contre la fracture numérique et l’illectronisme en s’appuyant sur les acteurs existants (Service civique, La Poste, etc.).

Proposition n°27

Revaloriser les cours de technologies de 4e et de 3e en les orientant vers l’initiation à la programmation et la sensibilisation à la cybersécurité.

Proposition n°28

Mettre en place pour les petites communes une plateforme numérique dédiée comprenant des outils de base et un premier niveau de conseil.

Proposition n°29

Rendre obligatoire pour les maires des communes de plus de 2500 habitants et les parlementaires une formation sur les enjeux et les principaux outils numériques

Proposition n°30

Créer un module commun de formation concernant les enjeux du numérique chez tous les opérateurs de compétences (OPCO) relevant des branches professionnelles

Favoriser l’innovation

Proposition n°31

Définir via France compétences des objectifs ambitieux en matière de formation d’ingénieurs et de concepteurs-développeurs informatiques.

Proposition n°32

Investir dans le projet d’informatique quantique européen EuroHPC (European High-Performance Computing).

Proposition n°33

Sous couvert des organisations et fédérations professionnelles d’employeurs, inciter les entreprises à l’innovation interne et à la valorisation des salariés inventeurs.

Proposition n°34

Développer les synergies public-privé en incitant financièrement les chercheurs dans les laboratoires ou établissements de recherche publics à créer leur start-up ou à les conseiller après un nombre minimum d’années de service.

Limiter l’impact environnemental du développement du numérique

Proposition n°35

Conclure des accords avec les hébergeurs qui sont installés ou voudront s’installer en France afin qu’ils réduisent leur empreinte environnementale à travers une sobriété énergétique et l’adaptation des capacités au plus près des besoins et en fonction de l’évolution des technologies (miniaturisation des capacités de stockage, développement du edge computing qui consiste à traiter les données en local et non sur des serveurs distants par exemple).

Proposition n°36

Construire notre souveraineté en matière de métaux stratégiques (« terres rares ») via le développement de l’économie circulaire (recyclage), la lutte contre l’obsolescence programmée et l’ouverture de mines en France.

Proposition n°37

Maintenir une veille active concernant l’impact éventuel sur la santé des ondes électromagnétiques en renforçant les moyens dédiés des structures indépendantes (Autorité de régulation des communications électroniques ou ARCEP) et des établissements publics concernés (Direction générale de l’armement (DGA) et Agence nationale des fréquences (ANFR) par exemple).