Financer un système de retraites satisfaisant et pérenne
Notre système de retraite est inspiré des deux modèles de Protection sociale prédominants dans le monde occidental : le modèle bismarckien, basé sur les premières assurances sociales mises en place à la fin du XIXe siècle par le chancelier Bismarck au sein de l’Empire allemand, et le modèle beveridgien, qui repose sur les idées de l’économiste britannique William Beveridge. Le premier modèle privilégie une approche assurantielle, où les prestations sont versées aux individus qui se sont assurés, tandis que le second modèle adopte une approche plus assistancielle, où les prestations sont versées aux individus qui en ont besoin.
Notre système est donc mixte. Il emprunte au système bismarkien par un financement encore essentiellement assis sur des cotisations sociales, le travail, et une gouvernance partagée avec le monde professionnel, les partenaires sociaux. Au système beveridgien, s’il ne reprend pas un régime unique, une caisse unique, ni les mêmes prestations pour tous, il reprend le principe d’universalité car il couvre toute la population via une logique assistancielle financée par l’impôt pour les personnes hors emploi qui n’ont pas pu cotiser, soit le minimum vieillesse.
Pour autant, si le système français de retraite reste essentiellement financé aujourd’hui par des cotisations salariales et patronales, les actifs ne cotisent pas pour eux, comme dans un modèle bismarkien classique, mais pour financer les retraites des personnes qui ne sont plus en activité. Dans ce schéma, la solidarité n’est donc pas qu’intragénérationnelle via l’impôt qui finance le minimum vieillesse, mais aussi et surtout intergénérationnelle, ce qui est le propre de la retraite par répartition.
Pour financer ce système, les ressources en 2021 se sont élevées à 337,6 Md€, soit 13,5% du PIB, dont une majorité provient des cotisations sociales payées par les actifs en emploi et leurs employeurs (hors contributions de l’État employeur). Les autres ressources sont issues de prises en charge de cotisations par l’État, destinées à assurer l’équilibre financier des régimes spéciaux, et de recettes fiscales (dont la CSG) payées par les actifs comme les retraités afin, notamment, de compenser les exonérations de cotisations sur les bas salaires et les transferts en provenance des organismes extérieurs (prises en charge de cotisations vieillesse par la branche famille et l’assurance chômage).
La part issue du travail reste donc prépondérante. C’est ainsi et a minima près de 30% du salaire brut de chaque actif en France qui sont dédiés au financement de notre système de retraite. Or, ce mode de financement fait face à une baisse du nombre d’actifs proportionnellement au nombre d’inactifs, en l’occurrence les retraités. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la population active va croître légèrement jusqu’en 2040 pour atteindre 30,5 millions d’individus, puis diminuer jusqu’en 2070 pour se stabiliser autour de 29,2 millions. A l’inverse, les plus de 70 ans vont augmenter de 5,2 millions au cours des 50 prochaines années, soit une dégradation du rapport actifs-inactifs qui passerait de 2 en 2021 à 1,7 en 2040 puis à 1,5 trente ans plus tard, contre 2,6 en 1990.
Face à cette situation et dans le cadre du système actuel par répartition, les leviers sont connus : montant des cotisations, montant des pensions, productivité et durée d’activité.
Le premier levier n’est pas sérieusement envisageable sauf à baisser le niveau global de nos prélèvements obligatoires (impôts, taxes et cotisations sociales) qui est aujourd’hui record au sein de l’OCDE avec le Danemark, soit 45,4% du PIB en 2022.
Le deuxième pourrait être justifié sur le plan statistique, le niveau de vie des retraités en 2019 étant supérieur de 1,6% à celui des actifs avec un revenu disponible moyen de 25 584 € par an contre 25 190 € pour l’ensemble de la population. Mais son acceptabilité sociale est très limitée.
La productivité est un levier rarement évoqué. Pourtant, il pourrait compenser la dégradation du rapport entre les actifs et les inactifs si les actifs d’aujourd’hui produisent plus de richesses que leurs aînés pour une durée donnée. Le problème est que ce levier a déjà été fortement utilisé depuis une bonne vingtaine d’années, notamment pour compenser l’effet du passage de 39 h à 35 h sans baisse de rémunérations avec pour corollaire une baisse de la quantité de travail sur une année et sur une vie pour chaque actif. En effet, si les actifs français (salariés et indépendants réunis, temps complet et partiel) sont proches de la moyenne des grandes économies en matière de temps de travail hebdomadaire avec 37,2 heures par semaine en 2022 contre 37,4 heures, il n’en va pas de même sur l’année avec 1511 heures contre 1752 heures, toujours en moyenne au sein de l’OCDE, notamment du fait des mesures de réduction du temps de travail (les fameuses « RTT »), le salarié français bénéficiant généralement de trente-cinq jours de congé annuel contre vingt-cinq dans les pays comparables. Et si on prend le temps de travail non plus par actif, mais par habitant, le chiffre s’effondre littéralement, essentiellement à cause d’un chômage plus élevé, d’un départ plus précoce à la retraite et d’un moindre cumul emploi-formation chez les jeunes en dépit des progrès récents. Avec 630 heures en 2021, les Français sont ceux qui travaillent le moins au regard d’un standard OCDE de 805 heures. Face à cette baisse du temps de travail disponible, les entreprises ont donc dû augmenter fortement leur production de biens et services par heure pour rester compétitives, soit remplacer du personnel par des machines en automatisant les chaînes de production ou en augmentant les cadences au prix d’une forte hausse du mal-être et de troubles psychosociaux au travail. Notre pays affichait ainsi, au moins jusqu’à la crise de la Covid-19, une productivité par heure élevée, au même niveau que celle en Allemagne.
Il reste enfin la durée d’activité sur une vie qui est la piste privilégiée par beaucoup de gouvernements depuis une trentaine d’années. Pour autant, si elle peut solvabiliser le système à court terme, on ne peut faire l’économie d’une réflexion à long terme en vue d’équilibrer de façon pérenne le financement des retraites. Cela passe, entre autres, par une politique familiale dynamique qui permet a minima de remplacer le père et la mère afin d’enrayer le vieillissement et stabiliser le rapport actifs-inactifs.
Par conséquent, il apparaît assez clair que la survie de notre système de retraite n’est pas assurée à long terme. C’est pour cela que nous proposons de répartir les risques à travers un modèle à trois étages recommandé par la Banque mondiale et déjà en vigueur dans des pays prospères qui affichent généralement de meilleurs indicateurs économiques et sociaux :
- un premier pilier de solidarité financé par tous les revenus afin de garantir à chaque citoyen quel que soit son parcours de vie une pension minimale à partir d’un certain âge ;
- une assurance retraite complémentaire obligatoirement proposée par l’employeur, public et privé, à l’image de la complémentaire santé ;
- une assurance facultative à travers une épargne individuelle défiscalisée.
Financer une pension minimale pour chaque Français grâce à un prélèvement solidaire sur tous les revenus
Proposition n°1
Une retraite socle sera garantie pour chaque Français et financée par tous les revenus, issus du travail, mais aussi de la consommation (dont nos 90 millions de touristes annuels), du capital, des activités financières, de l’immobilier et des aides sociales. Cela permettra de garantir à chaque citoyen un minimum vieillesse universel de 1200 € nets par mois qui pourra être mobilisé à partir de 65 ans.
Compléter la retraite solidaire par répartition par une retraite complémentaire collective obligatoirement proposée par l’employeur, public comme privé
Proposition n°2
A l’image de la complémentaire santé qui a amélioré le rapport coût/prestations au profit des salariés, une complémentaire retraite devra obligatoirement être proposée par l’employeur. Le service public, l’entreprise ou la branche professionnelle négociera pour choisir un assureur, qu’il procède par répartition comme l’AGIRC-ARRCO ou par capitalisation comme la PREFON pour les agents publics. L’Etat imposera une charte à ces assureurs pour rentrer sur ce marché, ce qui inclut le respect de règles prudentielles strictes qui ont fait leur preuve en France par le passé à travers l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) rattachée à la banque de France. Ce deuxième pilier aura également l’avantage de fournir à nos entreprise une épargne abondante, ce qui limitera les prises de contrôle de notre tissu économique par des acteurs étrangers.
Un troisième étage facultatif permettra des placements retraites individuels défiscalisés
Proposition n°3
Les Français auront, comme aujourd’hui, la faculté de compléter leur pension issue des deux premiers étages du système par des placements individuels soumis à une forte déduction fiscale.