Redonner le goût de l’effort et l’amour des savoirs
La qualité de notre système éducatif est la clé de l’unité et de la prospérité de la France à moyen-long terme. C’est ce qui détermine la capacité des citoyens à participer à la vie de la Cité, la démocratie étant le régime du débat, mais aussi leur capacité à s’insérer professionnellement en choisissant et non en subissant leur destin, ce qui renvoie aux questions de mobilité sociale.
Sur ce sujet, 66% des Français estiment que notre société est « très inégalitaire » ou « plutôt inégalitaire » selon l’édition 2022 du baromètre annuel de la « société inclusive » PEP/Kantar. Au Québec, on observe la tendance inverse : 70% des Québécois trouvent leur société plutôt juste. Dans la même veine, aux États-Unis où les inégalités de revenus sont plus grandes qu’en France, elles y sont perçues comme moins intenses.
Cette situation peut sembler paradoxale car la France est le pays où la redistribution corrige le plus les écarts initiaux de ressources. Selon l’INSEE, les 10% de personnes les plus pauvres y disposaient en 2018 d’un niveau de vie moyen avant redistribution de 3 290 € par an, contre 73 130 € pour les 10% les plus aisées, soit 22,2 fois plus. Après redistribution, ce rapport est réduit à 5,6, un record au sein de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Comment est-ce alors possible qu’un tel sentiment d’injustice ait sa place dans un pays où la redistribution des revenus est record ?
L’explication réside au moins en partie dans une moindre mobilité sociale. En effet, pour qu’une famille au bas de la répartition des revenus atteigne le revenu moyen, il faut attendre 6 générations en France, contre 5 en moyenne dans l’ensemble des pays développés.
Renouer avec la méritocratie, avec l’escalier social devient donc un enjeu crucial pour la cohésion de la nation. Et là, le système éducatif est en première ligne. Or, non seulement il n’arrive plus à corriger les déterminismes sociaux, mais il a même tendance à les renforcer. En 2018 par exemple, les élèves français de 15 ans issus d’un milieu social favorisé avaient un score moyen en compréhension de l’écrit comparable à leurs homologues de Suède et du Royaume‑Uni (550), alors que les élèves français d’un milieu social défavorisé avaient un niveau inférieur de respectivement 17 et 28 points à ceux des deux mêmes pays. L’écart entre les élèves issus de milieux sociaux favorisés et défavorisés atteint 107 points en France, nettement au‑dessus de la moyenne de l’OCDE de 89 points. Notre système scolaire est ainsi parmi les plus inégalitaires des pays membres de l’organisation internationale !
Sur ses deux autres missions fondamentales, la transmissions de valeurs communes fortes et la maîtrise d’un socle commun de compétences, notre système scolaire est également en crise.
Sur la diffusion de valeurs et de principes forts, notre Ecole est souvent perçue comme étant plutôt anationale ou postnationale que nationale. Si un effort a été mené ces dernières années pour réhabiliter l’éducation civique, l’institution peine encore à promouvoir sans complexe un sain patriotisme.
Quant aux compétences de base, selon l’étude 2022 du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France se situe dans la moyenne. Son score est de 474 en mathématiques et en compréhension de l’écrit alors que la moyenne affichée par les pays membres de l’OCDE est respectivement de 472 et de 476. En sciences, elle obtient 487, la moyenne étant de 485. Ce qui est plus inquiétant, c’est l’influence plus importante dans notre pays des origines sociales dans les résultats comme mentionné supra ainsi que la forte baisse des scores de la France depuis une vingtaine d’années. En 2000, nos élèves obtenaient respectivement 505 et 511 en compréhension de l’écrit et en mathématiques. En sciences, leur score était de 495.
Notre Ecole est ainsi en grande difficulté et ce n’est pourtant pas faute de moyens comme évoqué précédemment. Pour mémoire, en 2022, la dépense intérieure d’éducation (DIE) en France était de 180 Md€ environ, soit 6,8% du produit intérieur brut (PIB), ce qui situe notre pays au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE qui avaient par exemple consacré 4,9% de leur PIB aux établissements d’enseignement de l’élémentaire au supérieur contre 5,2 % en France. Et c’est encore plus vrai pour l’enseignement secondaire. En France, les dépenses par élève sont ainsi supérieures à la moyenne des pays de l’OCDE de 4% en 2019 dans le premier cycle (équivalent du collège, 11 825 $ contre 11 417 $) et de 34% (!) dans le deuxième cycle (y compris les lycées agricoles et les centres de formation en alternance (CFA), 15 725 $ contre 11 711 $).
Par conséquent, notre système éducatif a plus que jamais besoin de réformes structurelles, d’un changement de paradigme avec quelques leviers puissants :
- une plus grande reconnaissance, financière et en termes de parcours professionnels, des enseignants, nettement moins bien rémunérés en moyenne que leurs collègues de l’Union européenne (UE) et sans véritable gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ;
- davantage d’autonomie laissée aux établissements (recrutement et évaluation des enseignants, gestion, pédagogie) afin d’atteindre des objectifs qui restent nationaux ;
- davantage de liberté de choix accordée aux parents afin de ne pas concentrer les élèves de milieux difficiles aux mêmes endroits.
Mieux valoriser, gérer et former les enseignants
Proposition n°1
Augmenter la rémunération de tous les enseignants de 300 € nets par mois afin de réduire l’écart avec la moyenne de l’OCDE. En effet, en 2021, les salaires statutaires des enseignants du premier cycle du secondaire (le collège) ayant le CAPES et 15 ans d’expérience atteignaient 43 133 $ (ou 35 490 €), soit 16% de moins que la moyenne de l’OCDE qui se situe à 51 246 $.
Proposition n°2
Construire une véritable gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC) pour les enseignants afin de leur proposer un parcours professionnel diversifié et fluide après cinq années d’enseignement obligatoire en début de carrière (allers-retours aisés du face-à-face pédagogique à des postes de direction ou à des postes de conception au rectorat moyennant des formations d’adaptation). Ce parcours inclura une mobilité obligatoire de trois années a minima dans le public ou dans le privé afin de décloisonner le corps enseignant et lui permettre de mieux interagir avec la société qui l’entoure.
Proposition n°3
Affecter a minima en lycée tous les agrégés avec la responsabilité de l’animation pédagogique des certifiés de l’établissement dans la matière concernée. Des agrégés sont encore aujourd’hui affectés en collège.
Proposition n°4
Comme dans toute autre organisation, l’évaluation des enseignants sera effectuée annuellement en premier ressort par le/la principal(e) ou proviseur(e) (N+1), l’inspecteur d’académie entérinant en deuxième ressort ou intervenant en cas de désaccord entre les deux acteurs précités (recours hiérarchique) en vue d’éviter un recours administratif. Afin de limiter les risques de partialité dans la durée, une mobilité obligatoire des chefs d’établissement sera mise en place avec une durée maximale d’affectation de cinq ans.
Proposition n°5
Mieux former les enseignants sur les troubles divers qu’ils peuvent constater chez les élèves comme la dyspraxie, la dyslexie, la dyscalculie, etc.
Donner de l’autonomie aux équipes de direction et aux équipes pédagogiques des établissements dans un cadre qui reste national
Proposition n°6
Rendre les collèges et les lycées autonomes dans leur gestion, leur recrutement, l’évaluation des enseignants ainsi que dans leurs modalités pédagogiques afin d’atteindre le niveau exigé au plan national aux évaluations obligatoires et universelles en fin de 3e et en terminale. En contrepartie de cette grande liberté d’organisation et de gestion, chaque établissement signera un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens avec le rectorat.
Proposition n°7
Transférer aux établissements le budget prévu pour les allocations de rentrée scolaire afin qu’ils fournissent gratuitement aux élèves l’ensemble des fournitures nécessaires sur l’année, dont des tenues homogènes (cf. infra).
Proposition n°8
La gestion des chefs d’établissement (recrutement, formation, rémunération, etc.) doit devenir une priorité pour le ministère car ils constituent le pivot d’un système éducatif déconcentré.
Proposition n°9
Développer l’offre éducative dans les zones urbaines sensibles (ZUS) et dans les zones de revitalisation rurale en encourageant la création d’établissements publics et privés innovants à l’image de l’initiative prometteuse « Espérance banlieues ».
Proposition n°10
Systématiser les partenariats entre les collèges et les lycées français et ceux de l’espace francophone via l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) afin d’ouvrir les élèves sur le monde tout en partageant de bonnes pratiques pédagogiques.
Impliquer davantage les parents et leur donner plus de liberté de choix
Proposition n°11
Mettre fin à la carte scolaire et laisser la liberté aux parents comme aux établissements de se choisir. Les établissements, publics et privés si sous contrat avec l’Etat, auront l’obligation de recevoir un quota d’élèves boursiers et seront financés proportionnellement au nombre d’élèves reçus. Quant aux parents aux revenus modestes, ils pourront bénéficier d’une aide s’ils souhaitent inscrire leur enfant dans un établissement privé à condition qu’il soit sous contrat avec l’Etat.
Proposition n°12
Généraliser les outils d’échange entre les équipes pédagogiques et les parents via le numérique et des applications comme « Ecole directe ».
Proposition n°13
Définir avec les parents dès le début en Ecole primaire un parcours scolaire adapté aux enfants en situation de handicap, y compris les dyslexiques qui représentent entre 5% et 10% des élèves, afin de leur donner plus de visibilité.
Consolider les fondamentaux, mettre en cohérence les parcours et ouvrir sur le monde
Proposition n°14
Recentrer le collège sur deux piliers : les fondamentaux (français, histoire-géographie, sciences, éducation civique et sports) et l’ouverture au monde (langues, numérique, arts et découverte du milieu professionnel)
Proposition n°15
Rendre obligatoires en collège les aides individualisées pour les élèves en difficulté.
Proposition n°16
Transformer le brevet des collèges en une évaluation nationale et universelle en complément de celle en CM2 afin de remettre des « thermomètres » dans le système éducatif et vérifier ainsi qu’il atteint les objectifs assignés par la nation.
Proposition n°17
Confier le processus d’élaboration des programmes à l’Institut de France et à ses 5 académies en lieu et place du Conseil supérieur des programmes.
Proposition n°18
Développer la bivalence en 6e et en 5e afin de faciliter le passage Ecole élémentaire-Collège tout en donnant plus de souplesse aux équipes de direction dans la gestion des enseignants et des emplois du temps.
Proposition n°19
Revoir en profondeur les programmes de technologies pour les orienter vers le numérique, l’informatique (initiation au codage), la cybersécurité et l’intelligence artificielle.
Proposition n°20
Lier davantage les filières de l’Enseignement supérieur avec le baccalauréat afin d’empêcher des échecs annoncés comme une inscription en PASS ou L.AS (ex. PACES) après une terminale littéraire.
Proposition n°21
Profiter des opportunités offertes par le numérique et l’intelligence artificielle pour personnaliser le suivi des élèves en mettant en place des modules d’enseignements à distance mobilisables à tout moment, y compris en situation de handicap, afin de revoir, approfondir des notions et vérifier ses acquis au regard de ses résultats et leurs évolutions dans le temps.
Refaire du collège et du lycée les creusets de l’égalité et de l’inclusion républicaines
Proposition n°22
Dans le prolongement de l’Ecole primaire, mettre en place l’obligation d’une tenue homogène dans tous les collèges à l’image de certains départements et territoires d’Outre-mer afin d’y faire vivre concrètement les notions d’Egalité républicaine et d’égalité des chances. Les directions auront la liberté de choisir les tenues en concertation avec les parents d’élèves dans le cadre d’un cahier des charges national relativement souple.
Proposition n°23
Sanctionner les mauvais comportements des élèves non pas par l’exclusion temporaire, contre-productive, mais par des travaux d’intérêt général effectués soit au sein du collège ou du lycée, soit au sein de la commune en coopération avec les services de la mairie..
Proposition n°24
Former davantage les élèves à partir de la 4e au savoir-être (concours d’éloquence, négociation, posture, se présenter, gérer les conflits, etc.).
Ouvrir les établissements sur leur écosystème local
Proposition n°25
Ouvrir les collèges et les lycées sur le monde professionnel et l’entreprise en mettant systématiquement les établissements en relation par des conventions avec les organisations d’employeurs et la Région afin de permettre aux jeunes de découvrir des métiers. L’Education nationale doit s’ouvrir davantage aux écosystèmes locaux et sortir d’une forme d’intellectualisme car la France a besoin de tous les talents, théoriques comme pratiques, notre système scolaire sélectionnant sur 2/3 formes d’intelligence sur les 8 existantes chez l’Homme (intelligences logico-mathématique et linguistique, mais aussi intelligence sociale, intelligence de situation, intelligence visuo-spatiale, etc.).
Proposition n°26
Laisser l’initiative aux équipes de direction et aux équipes pédagogiques pour aider les élèves en matière d’orientation (coopération avec les branches professionnelles, les facultés, les grandes écoles, les différents acteurs publics et privés concernés sur le territoire, etc.), ce qui signifie la fin des centres d’information et d’orientation (CIO) et des centres d’information et de documentation jeunesse (CIDJ).
Proposition n°27
Mettre en place des centres de formation d’apprentis (CFA) d’excellence permettant ensuite de rejoindre des grandes écoles, d’ingénieurs notamment, ce qui incitera de très bons élèves à suivre cette voie et à devenir des cadres supérieurs ayant une bonne compréhension du terrain, des réalités pratiques en complément des filières classiques d’études supérieures.
Proposition n°28
Mettre davantage en lien les établissements avec les clubs sportifs locaux et systématiser les rencontres et championnats inter-collèges et inter-lycées. Laisser un vaste choix aux élèves quant aux disciplines pratiquées à partir d’un socle commun obligatoire (natation, athlétisme et gymnastique).