Relancer l’escalier social en maîtrisant les savoirs de base
En 2022, la dépense intérieure d’éducation (DIE) en France, qui rassemble toutes les dépenses effectuées par l’ensemble des agents économiques (administrations publiques centrales et locales, entreprises et ménages) pour les activités d’éducation, était de 180Md€ environ, soit 7% du produit intérieur brut (PIB). Avec ces chiffres, la France se situe au-dessus de la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).
Cependant, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que la répartition des efforts de la nation est très inégale entre l’Ecole primaire, l’Enseignement secondaire et l’Enseignement supérieur. Si les dépenses par élève en 2020 sont plus élevées que celles de la moyenne de l’OCDE dans le supérieur (18 880 $ versus 18 105 $) et surtout dans le secondaire (13 874 $ versus 11 942 $), elles sont nettement inférieures dans le premier degré avec 9 673 $ par écolier contre 10 658 $ en moyenne au sein des pays développés. Cela se traduit par un sous-encadrement relatif avec, pour l’année 2022, un enseignant pour 18,4 élèves dans nos écoles primaires contre un enseignant pour 14,4 élèves en moyenne au sein de l’OCDE.
Cela explique fort logiquement des résultats en retrait par rapport à des pays semblables. L’évaluation PIRLS (Progress in International Reading Literacy – Programme international de recherche en lecture scolaire) situe ainsi la France dans une enquête de 2021 nettement en-deçà des moyennes au sein de l’Union européenne (UE) et de l’OCDE avec un score de 514 contre respectivement 527 et 528. Il en va de même en mathématiques et en sciences où une étude TIMSS (Trends in Mathematics and Science Study) de 2019 montre que seuls 21% des élèves français de CM1 atteignent un niveau élevé en mathématiques et 22% en sciences contre respectivement 39% et 37% en moyenne au sein de l’UE.
Ce manque d’investissement dans cette première brique du parcours éducatif en France explique aussi, au moins en partie, le manque de mobilité sociale dans notre pays relativement aux autres nations développées de l’OCDE. Pour qu’une famille au bas de la répartition des revenus atteigne le revenu moyen, il faut ainsi attendre 6 générations en France, contre 5 en moyenne dans l’ensemble des pays membres de l’organisation internationale.
Or, la performance de notre Ecole primaire est fondamentale pour l’unité et la prospérité du pays à moyen-long terme. En effet, ses trois missions cardinales consistent à :
- diffuser les compétences de base à tout individu afin d’assurer son intégration sociale, professionnelle et citoyenne ;
- inculquer des valeurs et principes communs forts pour assurer la cohésion de la nation en dépit des différences socio-économiques du quotidien ;
- permettre à un maximum de jeunes de choisir et non subir leur destin, c’est la question évoquée supra de l’escalier social.
Or, sur ces trois volets, notre système éducatif est en grande difficulté.
Sur les compétences de base, les chiffres précitées montrent un décrochage de la France, décrochage dans la durée car nos scores dans les études PIRLS sont passés entre 2001 et 2021 de 532 à 511 en « Compréhension de textes informatifs », de 519 à 516 en « Compréhension de textes narratifs », de 529 à 519 en « Domaines des compétences les plus simples » et de 523 à 510 en « Domaines des compétences les plus complexes ».
Quant à la diffusion de valeurs et de principes forts, notre Ecole est souvent perçue comme étant plutôt anationale ou postnationale que nationale. Si un effort a été mené ces dernières années pour réhabiliter l’éducation civique, cette dernière s’apparente davantage à une éducation à la vie en société plutôt qu’à une éducation à l’appartenance à la nation à travers, notamment, ses grandes figures historiques. Les atermoiements actuels de nombreuses directions d’établissements et de nombreux enseignants eux-mêmes sur les atteintes à la laïcité illustrent une certaine perte de repère d’une institution qui avait pourtant forgé en quelques décennies des citoyens non seulement instruits, mais aussi valeureux car pétris de vertus civiques déterminantes pour la pérennité d’un peuple libre.
Enfin, en matière de mobilité sociale, l’Education nationale et tout particulièrement l’Ecole primaire sont en première ligne. Dès les premières années de scolarité obligatoire, les inégalités de performances scolaires selon la catégorie socioprofessionnelle des parents sont fortes. À l’occasion d’une dictée proposée à des élèves de CM2 en 2015, les enfants de parents ouvriers ont fait en moyenne 19 erreurs et ceux de parents sans emploi 21, soit moitié plus que les enfants de parents cadres (13). Lors des épreuves de calcul passées en CM2 en 2017, les écarts selon le niveau social étaient également marqués. Entre 1987 et 2017, les écarts sociaux se sont peu modifiés, tant en orthographe qu’en calcul, mais la baisse de la performance des élèves est en revanche générale. Si un écart initial peut sembler logique et impossible à prévenir, on attend que notre système éducatif, et tout particulièrement son premier degré, arrive à atténuer ces différences. Or, non seulement le niveau global est inférieur à celui de la moyenne de l’OCDE comme mentionné ci-dessus, mais les écarts entre catégories socioprofessionnels sont plus forts en France qu’ailleurs. Pour les élèves âgés de 15 ans, notre pays compte ainsi parmi les nations européennes où les inégalités sociales dans les résultats scolaires sont les plus élevées. En 2018, les élèves français d’un milieu social favorisé avaient un score moyen en compréhension de l’écrit comparable à leurs homologues de Suède et du Royaume‑Uni (550), alors que les élèves français d’un milieu social défavorisé avaient un niveau inférieur de respectivement 17 et 28 points à ceux des deux mêmes pays. L’écart entre les élèves issus de milieux sociaux favorisés et défavorisés atteint 107 points en France, nettement au‑dessus de la moyenne de l’OCDE de 89 points.
Non seulement l’Education est une priorité pour nous, mais tout particulièrement l’Ecole primaire qui conditionne grandement notre avenir à travers la cohésion comme la prospérité de notre société. La France n’a pas le droit de laisser ses enfants poursuivre leur parcours scolaire et de vie sans l’assurance qu’ils aient acquis le socle de compétences indispensables à tout citoyen d’une nation libre lors des enseignements du premier degré.
Mieux valoriser l’engagement pour la nation des professeurs des écoles
Proposition n°1
Augmenter la rémunération de tous les professeurs de 300 € nets par mois afin de réduire l’écart avec la moyenne de l’UE qui se situait en 2022 à 46 894 $ bruts annuels après 15 ans d’ancienneté contre 40 683 $ en France.
Proposition n°2
Construire une véritable gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC) pour les professeurs afin de leur proposer un parcours professionnel diversifié et fluide après cinq années d’enseignement obligatoire en début de carrière (allers-retours aisés du face-à-face pédagogique à des postes de direction ou à des postes de conception au rectorat moyennant des formations d’adaptation). Ce parcours inclura une mobilité obligatoire de trois années a minima dans le public ou dans le privé afin de décloisonner le corps enseignant et lui permettre de mieux interagir avec la société qui l’entoure.
Refaire de l’Ecole primaire le creuset de l’Egalité républicaine et de l’escalier social
Proposition n°3
Mettre fin à la carte scolaire et laisser la liberté aux parents comme aux établissements de se choisir. Les écoles auront l’obligation de recevoir un quota identique et fixe d’élèves issus de milieux défavorisés (selon les mêmes critères que pour obtenir une bourse nationale pour le collège ou le lycée) et seront financées proportionnellement au nombre d’élèves reçus. Quant aux parents aux revenus modestes, ils pourront bénéficier d’une aide s’ils souhaitent inscrire leur enfant dans un établissement privé à condition qu’il soit sous contrat avec l’Etat.
Proposition n°4
Raisonner en cycle d’apprentissage pour les entrées en cours préparatoire (CP), entre 5 et 7 ans, puis au collège en 6e, entre 10 et 12 ans, pour s’assurer de l’acquis par l’élève du socle de compétences indispensable à la suite de son parcours scolaire et de vie.
Proposition n°5
Mettre en place une évaluation nationale en fin de CM2 afin d’objectiver la maîtrise du socle de savoir-faire nécessaire au passage en 6e entre 10 et 12 ans, aucun enfant de France hors situation de handicap ne devant passer au collège sans ce niveau minimum attesté, identique sur tout le territoire.
Proposition n°6
Rendre obligatoires en école primaire les aides individualisées pour les élèves en difficulté, les premières années de scolarité étant déterminantes pour réamorcer la mobilité sociale en France.
Proposition n°7
Mettre en place l’obligation d’une tenue homogène dans toutes les écoles primaires à l’image de certains départements et territoires d’Outre-mer afin d’y faire vivre concrètement la notion d’Egalité républicaine et l’égalité des chances. Les directions auront la liberté de choisir les tenues en concertation avec les parents d’élèves dans le cadre d’un cahier des charges national relativement souple.
Proposition n°8
Transférer aux écoles le budget prévu pour les allocations de rentrée scolaire afin qu’elles fournissent gratuitement aux élèves l’ensemble des fournitures nécessaires sur l’année, dont les tenues homogènes précitées.
Moderniser la gestion des écoles primaires
Proposition n°9
Rendre les écoles autonomes dans leur gestion, leur recrutement, l’évaluation des professeurs ainsi que dans leurs modalités pédagogiques en vue d’atteindre le niveau exigé au plan national lors de l’évaluation obligatoire et universelle en fin de CM2.
Proposition n°10
Comme dans toute autre organisation, l’évaluation des professeurs en premier ressort sera effectuée annuellement par le directeur ou la directrice d’école (N+1), l’inspecteur d’académie entérinant en deuxième ressort ou intervenant en cas de désaccord entre les deux acteurs précités (recours hiérarchique) en vue d’éviter un recours administratif. Afin de limiter les risques de partialité dans la durée, une mobilité obligatoire des directeurs ou directrices d’école sera mise en place avec une durée maximale d’affectation de 5 ans.
Proposition n°11
Mieux répartir le volume horaire dans la semaine et au cours de l’année afin de décompresser le temps scolaire. En effet, nos écoliers ont un volume d’heures sur l’ensemble du cycle de l’enseignement primaire au-dessus de la moyenne européenne (4 320 contre 4 082) tout en ayant un nombre de jours d’enseignement inférieur, 162 par an contre 170 à 190 dans la majorité des Etats membres.
Proposition n°12
Mieux former les professeurs aux troubles divers qu’ils peuvent constater chez les jeunes enfants comme la dyspraxie, la dyslexie, la dyscalculie, etc.