Justice

Pour une nouvelle conception de la peine

La Justice française est paupérisée, marquée d’année en année par un manque de moyens, financiers comme humains.

En ce qui concerne les ressources financières, la France consacre 73 € par an et par habitant en 2020 au fonctionnement de son système judiciaire contre 78 € en moyenne au sein des 46 pays membres du Conseil de l’Europe. Certes, le montant est en augmentation ces dernières années, mais le pays reste relativement mal classé, y compris au sein de l’Union européenne : 13e sur 27. Par exemple, l’Espagne et l’Italie dépensent respectivement 88 et 82 € par an et par habitant en 2020 et l’Allemagne plus de 140 € pour le fonctionnement de leur système judiciaire. Rapporté au produit intérieur brut (PIB), le constat est encore plus sévère. Avec un peu plus de 0,21% de son PIB pour sa Justice, notre pays est loin derrière la moyenne du Conseil de l’Europe (0,35%).

Corollaire, les ressources humaines sont également insuffisantes. Avec 11,2 juges pour 100 000 habitants en 2020, la France est loin derrière la médiane des pays membres du Conseil de l’Europe et leur 17,6 juges professionnels pour 100 000 habitants. En toute logique, le temps d’attente pour trancher un litige en première instance frôle les 400 jours en France en 2020 alors qu’il est souvent de moins de 200 jours dans la plupart des juridictions des pays membres du Conseil de l’Europe.

Pour autant, la Justice et le système judiciaire ne sont qu’une face de la médaille de la tranquillité publique en France dont l’autre face relève des forces de sécurité intérieure qui se situent en amont du processus. Il faut donc, comme évoqué supra, raisonner dans un continuum Sécurité-Justice avec des moyens et des procédures adaptées.

Quand on regarde le taux d’homicide, la France apparaît comme un pays plutôt peu dangereux à l’échelle mondiale, loin de certains pays d’Amérique latine… Mais si on se place à l’échelle européenne, les choses sont plus inquiétantes. En 2020, il y a eu 285 homicides en Italie contre… 863 en France par exemple, deux pays pourtant comparables en termes de population. L’Allemagne, plus peuplée, n’en avait que 782, l’Espagne 298. Notre pays apparaît donc clairement comme un des pays les plus criminogènes du continent. Plus largement, en Europe de l’Ouest, l’indice de criminalité par pays place la France en tête en 2021 (49,20) devant la Belgique (44,17) et très loin devant le troisième l’Allemagne (35,42). La Suisse, elle, affiche un indice de 21,35.

Nous faisons donc face à un délitement progressif du contrat social qui peut être objectivé par l’augmentation tendancielle des agressions physiques depuis plusieurs dizaines d’années en France. En ce qui concerne les cas de coups et blessures, le constat est clair : depuis une vingtaine d’années, il a quasiment toujours été en augmentation pour atteindre 260 475 cas en 2019, soit une augmentation de plus de 249% par rapport aux 74 694 cas de 1996. Ces chiffres attestent d’une société de plus en plus violente. Par ailleurs, en 40 ans, le nombre de mineurs mis en cause dans des affaires pénales en France est passé d’environ 80 000 à environ 200 000, soit une augmentation impressionnante de 150%. L’augmentation de la délinquance juvénile est donc réelle, et ne relève donc pas d’un simple « sentiment » ou d’un fantasme. On peut même parler d’un recul civilisationnel, le degré de civilisation d’une société étant évalué depuis le XVIIIe siècle par, notamment, son degré de civilité, soit la capacité à régler les litiges par le dialogue et le droit et non par la violence.

Poursuivre l’augmentation récente des moyens

Proposition n°1

Porter le budget de la Justice à a minima 12Md€ et l’ensemble Sécurité-Justice (i.e. missions Sécurités et Justice) de 34,5 milliards en 2023 à au moins 38 milliards d’euros, ce qui correspond à 1,5 % du PIB de la France (2 500 milliards d’euros en 2021). Cette augmentation sera financée par les économies réalisées dans le cadre de la réforme de l’action publique (10 % de la dépense publique, soit 150 milliards d’euros).

Proposition n°2

Augmenter les ressources humaines (juges, procureurs, assistants de Justice et greffiers) afin de s’aligner progressivement sur la moyenne européenne en personnel de Justice pour 100 000 habitants. Cette augmentation ne se fera pas forcément par des recrutements externes, mais aussi et surtout par un transfert de personnel de l’administration de gestion vers l’administration de terrain, et ce, quelle que soit l’administration ou la fonction publique d’origine.

Proposition n°3

Poursuivre la simplification et la numérisation des procédures avec une base de données unique tout au long du processus touchant un justiciable, de la constatation de l’infraction à la réinsertion éventuelle en passant par le suivi de l’exécution de la sanction.

Limiter la prison aux infractions portant atteinte aux personnes et à la sûreté de l’Etat en faisant de l’amende, des saisies et des travaux d’intérêt général les peines principales

Proposition n°4

Limiter la prison aux infractions portant atteinte aux personnes et à la sûreté de l’Etat. En ce qui concerne les atteintes aux biens, privilégier les sanctions pécuniaires et patrimoniales, soit « taper au porte-monnaie » avec affectation prioritaire des gains aux budgets des ministères de la Justice et de l’Intérieur. A défaut (insolvabilité par exemple), privilégier les travaux d’intérêt général (TIG) à la prison.

Garantir l’exécution des sanctions

Proposition n°5

Augmenter les capacités d’incarcération de 30 000 places en construisant des prisons et en louant des capacités à des pays tiers à l’image de la Norvège et du Danemark.

Proposition n°6

Répartir les prisonniers en fonction de leur profil dans des établissements pénitentiaires spécialisés.

Proposition n°7

Rendre progressivement (adaptation des centres de détention) le travail obligatoire en prison sous couvert du service d’insertion et de probation.

Proposition n°8

Instaurer plus d’égalité de traitement dans les prisons par une tenue homogène et la limitation des possibilités d’achat des détenus (“les cantines”) en dehors de ce qui est fourni par l’administration (pas plus de 50€ d’achat par semaine par personne).

Proposition n°9

En complément de la fin des remises de peine automatiques à compter du 1er janvier 2023, limiter les remises de peine conditionnelles à un quart maximum de la durée de privation de liberté.

Redéfinir les peines alternatives à la privation de liberté

Proposition n°10

Améliorer l’effectivité et la rapidité de l’exécution d’un travail d’intérêt général (TIG) au plus près du lieu de l’infraction en rapprochant les principaux acteurs concernés, à savoir l’Agence nationale du travail d’intérêt général (ANTIG), le Procureur de la République et les élus locaux, les maires en particulier.

Proposition n°11

Mettre en place une peine alternative à la prison avec encadrement militaire à l’image des jeunes en équipes de travail (JET) en vigueur de 1986 à 2003. Elle concernerait les 16/25 ans purgeant des peines ne dépassant pas 5 ans pour des durées allant de 6 à 24 mois.

Proposition n°12

S’assurer du paiement des sanctions financières par une saisie sur le patrimoine et/ou un prélèvement à la source, aides sociales incluses.

mieux suivre les personnes sous main de justice

Proposition n°13

Baser les travaux de la chaire de criminologie créée en 2009 sur une approche scientifique des faits criminels au détriment des démarches sociologiques qui ont tendance à minimiser la responsabilité individuelle.

Proposition n°14

Garantir une parfaite coordination entre les juges de l’application des peines (JAP) et les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) qui doivent exécuter leurs décisions.

Proposition n°15

Evaluer systématiquement la dangerosité des individus auteurs d’infractions graves portant atteinte aux personnes ou à la sûreté de l’Etat avant toute sortie de détention ou réduction de peine en augmentant pour cela le nombre de centres pénitentiaires interrégionaux d’évaluation.

Proposition n°16

Répartir les condamnés dans les établissements pénitentiaires en fonction de leur profil, et pas forcément à proximité de leur famille ou de leur milieu qui ne facilitent pas toujours leur réinsertion (passage d’objets illicites au parloir, poursuite des activités délictuelles à distance, etc.).

Proposition n°17

Développer la visioconférence dans les procédures pour réduire les mouvements des détenus et les risques afférents (évasion notamment), mouvements à confier à la seule administration pénitentiaire en vue de préserver les forces de sécurité.

Mieux appréhender et combattre la délinquance juvénile

Proposition n°18

Regrouper les différents acteurs concernés hors Education nationale (associations, centres éducatifs renforcés et fermés, centres EPIDe, unités du service militaire adapté et du service militaire volontaire, protection judiciaire de la jeunesse, etc.) dans un ministère de la Jeunesse élargi.

Proposition n°19

Redéfinir les missions et l’organisation de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) tout en renforçant ses moyens en liaison avec les acteurs directement concernés comme les parquets, les collectivités locales et les juges des enfants.

Proposition n°20

Mettre sous tutelle (et non supprimer) les aides sociales en cas de défaillance des personnes en charge de l’autorité parentale et reverser ces sommes aux structures amenées à gérer les jeunes concernés.

Proposition n°21

Responsabiliser les parents en les poursuivant pour recel et trafic de stupéfiants en cas de complicité active ou passive.

Prendre des mesures fortes adaptées aux réalités du terrain

Proposition n°22

Expulser systématiquement à l’issue de leur peine les criminels étrangers.

Proposition n°23

Poursuivre pour indignité nationale les multirécidivistes en matière de crimes et de délits graves.

Proposition n°24

Etendre les possibilités de recourir à la rétention de sûreté.

Simplifier les procédures et rapprocher la Justice des citoyens

Proposition n°25

Placer systématiquement sous contrôle judiciaire les personnes dangereuses (récidivistes, etc.) en cas de remise en liberté pour vice de procédure.

Proposition n°26

Mettre en place des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels pour les délits les plus graves afin de rapprocher la Justice des citoyens.

Proposition n°27

Mettre fin à la pratique de plus en plus répandue du juge unique en imposant progressivement dans toutes les juridictions (à mesure de l’augmentation des effectifs) le principe de la collégialité, gage d’impartialité et d’indépendance pour les justiciables.

Proposition n°28

Afin de réduire les délais de jugement, développer la comparution immédiate dans les tribunaux correctionnels.

Proposition n°29

A l’image des conseils de prud’hommes et des tribunaux de commerce, développer les démarches de conciliation dans l’ensemble des juridictions afin de faciliter les règlements amiables des différends.

Proposition n°30

Plusieurs pistes existent pour simplifier les procédures pénales : faciliter les saisies en cas de flagrant délit, dématérialiser les fichiers et les partager entre tiers de confiance (services sociaux, fiscaux, tribunaux judiciaires, forces de sécurité, douanes, etc.), définir un seul type d’enquête, maintenir la qualification d’officier de police judiciaire (OPJ) pour les réservistes ayant déjà cette qualification (anciennement d’active), etc.

Réformer la fonction de magistrat du Parquet

Proposition n°31

Outre l’augmentation des effectifs mentionnée supra, cloisonner le parcours professionnel des parquetiers vis-à-vis de celui des magistrats du siège afin de mieux garantir l’indépendance des juges d’instruction.

Proposition n°32

Homogénéiser la politique pénale et civile menée sur tout le territoire et renforcer l’indépendance des juridictions vis-à-vis du pouvoir politique par la nomination par le président de la République d’un Procureur de la Nation sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature.