Après 40 ans de refus des partis politiques en place d’affronter les défis auxquels notre pays est confronté – désindustrialisation, déclassement, crise de l’autorité, archipellisation de la société, immigration incontrôlée, fuite en avant monétaire et budgétaire, endettement massif (dont seulement une partie est dû à la crise du covid) – le chaos dans lequel la France est plongé depuis le résultat des élections européennes et la dissolution qui s’en est suivie est tout sauf étonnant.
Le bloc élitaire central qui était convaincu de se maintenir au pouvoir parce que seul détenteur de la Raison et du Bien est en passe d’être laminé par les deux blocs dits populistes de droite et de gauche.
Le bloc composé du Rassemblement national (RN) et de ceux qui l’on rejoint, à défaut d’un programme économique et social susceptible de sortir le pays de l’ornière, répond à l’angoisse identitaire de nos compatriotes comme le fait Donald Trump aux États-Unis. Le bloc de la gauche sous domination mélenchoniste est encore plus démagogique sur le plan des solutions économiques et sociales proposées. Mais il représente en plus un danger mortel pour la concorde nationale. En renonçant à reconquérir l’électorat populaire parti au RN au profit d’un nouvel électorat urbain comprenant « les diplômés », « les jeunes », « les minorités des quartiers populaires » et « les femmes » (stratégie élaborée par le laboratoire d’idées socialiste Terra Nova), la gauche a renoncé à son projet universaliste. Cette alliance entre la petite bourgeoisie intellectuelle des centre-ville – les « bobos » – et le nouveau prolétariat concentré dans les quartiers populaires porte en elle le spectre du communautarisme. La renonciation au modèle assimilationniste par l’école et le travail qui avait fonctionné pour les vagues d’immigration antérieures (assimilation il est vrai facilitée par le fait qu’il s’agissait – polonais, italiens portugais – d’une immigration d’origine européenne) a en elle le plus grand des dangers. Celui de voir des communautés qui, après avoir vécu « côte à côte », risquent de se retrouver « face à face » pour reprendre l’expression d’un ancien ministre de l’intérieur socialiste.
Le projet macroniste d’extrême centre promouvant une fusion du centre gauche et du centre droit visait à permettre au président de la République de se maintenir durablement au pouvoir en repoussant aux extrêmes les franges les plus radicales de la droite et de la gauche. C’était la théorie de l’omelette qu’on coupe par les deux bouts. Mais ce projet a vécu. La grenade dégoupillée que ce Machiavel « au petit pied » détenait entre ses mains a éclaté. Au point de se demander si, après en avoir appelé aux mânes de Jupiter, ce président immature ne se serait pas pris pour Néron contemplant Rome en feu.
De son côté, l’extrême gauche menée par un expert en instrumentalisation politique – le trotskiste lambertiste Mélenchon – a toutes les chances d’être majoritaire dans le « Nouveau Front populaire » (NFP) reconstitué en quatre jours. La France insoumise a compris très tôt les bénéfices électoraux qu’elle pouvait retirer en séduisant l’électorat des banlieues. En mettant en avant une France « créolisée », Jean-Luc Mélenchon escompte attirer dans ses filets cet électorat travaillé en sous-main par les Frères musulmans et qui, jusqu’à présent, connaissait un fort taux d’abstention. Pour les stratèges électoraux de LFI, c’est ici que se trouveraient les fameuses 400 000 voix qui auraient manqué à leur leader pour parvenir au second tour de la dernière élection présidentielle. Pour mobiliser cet électorat, LFI n’a pas hésité à ressortir de ses tiroirs le vieil antisémitisme d’extrême gauche mis à jour par l’historien Zeev Sternhell et repeint aux couleurs de l’antisionisme. Réussir à rassembler sous la bannière d’un Front populaire ressuscité un attelage allant de Hollande à Poutou n’appelle qu’un commentaire : chapeau les artistes ! Avoir à ce point mésestimer la capacité de la gauche à s’unir lorsque le pouvoir est à prendre n’aura pas été la moindre des erreurs stratégiques d’Emmanuel Macron.
Du côté du bloc populiste de droite, le travail de dédiabolisation du FN puis du RN mené par Marine Le Pen est en train de porter ses fruits. La digue mise en place par la droite républicaine qui, depuis 40 ans, préférait perdre les élections plutôt que perdre son âme a cédé.
Avec l’effet amplificateur du scrutin majoritaire à deux tours, le piège risque de se refermer sur le bloc central macroniste. Se reconstituerait alors le système bipolaire voulu par les constituants de 1958, mais cette fois dominé par les deux blocs populistes de droite et de gauche.
Les trois scénarios envisageables, conduisent tous, à plus ou moins long terme, à une crise de régime.
Dans le premier scénario le RN conquiert la majorité relative, voire absolue, des sièges au Parlement. Il me semble le plus probable dans la mesure où il y a de fortes chances que les Français confirment en l’amplifiant leur rejet massif du gouvernement exprimé lors des élections européennes. En s’engageant comme il le fait, le président de la République ne fait d’ailleurs que renforcer ce vote de rejet, mais avec cette fois-ci l’effet amplificateur du scrutin majoritaire à deux tours.
Le deuxième scénario est celui d’une victoire du NFP. Il ne faut pas l’exclure tant, dans le peuple de gauche (élargi au centre gauche), la peur du fascisme réel ou supposé l’emporte sur les craintes liées au caractère délirant des propositions économiques de cette coalition de circonstances. L’expérience de 1981, en démontrant la capacité de la gauche au pouvoir d’oublier de mettre en œuvre les promesses formulées dans l’opposition, a en quelque sorte un effet « rassurant ». Les électeurs du NFP peuvent se dire qu’« ils ne feront pas tout ce qu’ils ont promis », d’autant que l’alliance risque rapidement d’exploser. On connait par ailleurs depuis Jung la force de l’inconscient collectif. En convoquant le souvenir du Front populaire formé en 1936 en réaction aux émeutes des ligues d’extrême droite du 6 février 1934, les promoteurs de ce nouveau « Front Populaire » ont perçu la force mobilisatrice du symbole. Cet inconscient collectif sera-t-il suffisamment puissant pour mettre sous le boisseau le rejet de l’antisémitisme véhiculé par LFI ? Ce n’est pas à exclure, tant la défense du « peuple palestinien » mythifié permet à ces pulsions antisémites de prospérer.
Le troisième scénario, celui du maintien à flot du bloc central, est le moins probable. Certes, il ne faut pas exclure du côté des retraités et des épargnants la peur du retour d’une gauche dépensière, dans un contexte d’endettement atteignant un niveau historique. Cette nouvelle peur des « bien-pensants » permettrait au bloc central de survivre. Perdurerait alors l’existence de trois blocs dont aucun ne serait majoritaire au Parlement. La France deviendrait dans ce cas rapidement ingouvernable avec l’impossibilité pour le président de la République de dissoudre l’Assemblée avant un an.
Dans tous les cas de figure, les dangers qui assaillent le pays sont nombreux : crise financière, instabilité politique chronique, risque d’explosion sociale et/ou d’émeutes urbaines. Ils portent en eux un risque d’effondrement du pays, d’autant qu’ils se présentent dans un contexte de très fortes tensions internationales (Ukraine, Gaza).
Il devient dès lors d’autant plus urgent de préparer les conditions d’un sursaut. Ce sursaut est possible pour peu que nous fassions connaître à nos compatriotes les mesures de redressement et de salut public sur lesquelles Nouvel essor français travaille depuis cinq ans. Ces mesures de bon sens sont les seules à même de recréer les conditions de la confiance chez nos compatriotes, confiance elle-même indispensable au redressement du pays. Elles supposent calme, lucidité, humilité et courage. Mais nous sommes persuadés à Nouvel essor français que les Français ont ces qualités. C’est pourquoi nous n’aurons de cesse, dans les semaines, les mois et les années à venir, de leur faire connaître notre programme. Pour qu’ils retrouvent un espoir, non pas gagé sur des illusions et des promesses non tenables, mais sur leur capacité à trouver en eux les ressources du sursaut. Comme ils l’ont toujours fait dans leur histoire.
Stéphane Morel
Secrétaire général de Nouvel essor français